Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi soit-il.
Mes bien chers frères et sœurs,
Ce dernier dimanche de l’année liturgique nous met devant les yeux un tableau impressionnant; la fin du monde, le retour du Christ en gloire et le jugement dernier. Et c’est là-dessus que nous refermerons notre méditation sur les fins dernières.
En fait, la foi ne nous parle pas d’un jugement, mais de 2.
Dans les institutions humaines, une même affaire peut être jugée 2 fois. Soit parce que le 1er jugement était contestable, ou contesté; on fait appel. Soit encore parce que le 1er jugement était imparfait, ou devait être confirmé.
Pour les 2 jugements de Dieu, c’est cela. Le jugement particulier, individuel, au sortir de cette vie, doit être confirmé et complété par le jugement général.
Pourquoi donc?
La sentence de chacun n’est pas changée, ou révisée; c’est le ciel, avec le purgatoire qui achève d’y préparer, ou l’enfer. On ne passe plus ensuite de l’un à l’autre1.
En revanche, il y a une solidarité des hommes au fil de l’histoire. La communion des saints en est le versant lumineux et surnaturel. Le scandale et l’entrainement au mal en est le versant obscur. Les effets du bien ou du mal de chacun se répercutent dans cette histoire des hommes. Au dernier jugement, ils sont complets, et dévoilés. Les mérites cachés apparaissent, comme autant d’effets de la miséricorde divine. Les péchés (oui, tous, grands et petits, pardonnés ou retenus) apparaissent aussi, comme autant d’occasions saisies ou manquées de recevoir miséricorde. «Le compte est bon».
Prenons 2 exemples.
Ste Mère Teresa a déjà comparu au 1er jugement… perseverance finale, confirmation en grâce. Charité, miséricorde à cause du Nom de Jésus, foi, humilité.
Au dernier jugement, il y a plus; la somme des actes de charité et de miséricorde de sa congrégation est manifestée, produite devant tous. Elle est la suite de l’acte de fondation, auquel elle a dit «oui». Ce «oui» plein de charité et de mérite a valeur en lui-même, et puis dans son écho, sa résonnance.
A l’inverse, tel grand pécheur endurci jusqu’à la fin dans le péché grave, un acte intrinsèquement mauvais et scandaleux; par exemple, une loi injuste, directement contre la vie. Il en répond d’abord au jugement particulier. Il s’autoexclue définitivement de Dieu, pour toujours. La sentence première le confirme. Mais l’entrainement au mal, résonnance terrible de sa décision se continue sur la terre, dans le temps des hommes.
Aussi cette somme, cette accumulation de mal est-elle manifestée au dernier jugement. Sa séparation définitive de Dieu est confirmée, les suites de son péché sont étalées aux yeux de tous.
Il y a une autre raison. C‘est l’âme séparée qui reçoit le jugement particulier.
Il est immédiatement après la mort. En un instant sans durée, simultanément, l’âme voit et entend l’examen de son état et de sa vie – et la sentence correspondante. Le sein d’Abraham, la gloire divine s’ouvre à l’âme juste, l’enfer, les ténèbres extérieures se referment sur le damné qui y vivait déjà par le péché mortel. A la mort, l’âme séparée du corps est fixée pour toujours dans l’union ou la séparation de Dieu, l’état de grâce ou l’endurcissement au péché. «Si un arbre tombe, au midi ou au nord, il reste à la place où il est tombé.» (Eccl, XI, 3). Il n’y a pas de «remise en jeu» après la mort. On ne joue pas son éternité «dans les prolongations» ou «le tir au but», à la différence de certaines compétitions! La théorie d’un entre 2 du temps et de l’éternité, d’une sorte de rattrapage après la mort est très tentante, touchante, très «tendance». Mais elle est indémontrable en psychologie réaliste, en philosophie – comme en théologie.
Seulement, nous sommes créés et vivants corps et âme. Âme incarnée, corps animé. Et c’est ainsi, tout entiers, que nous répondons devant Dieu des actes que nous avons posé tout entiers. Aussi le jugement dernier a-t-il lieu après la résurrection de la chair. «L’heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix, et en sortiront. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement2».
Concluons.
Cette verité du jugement garde de la tentation et de la contagion du mal. «Celui qui m’aura reconnu devant les hommes, moi aussi je le reconnaitrai devant mon Père des cieux. Celui qui aura rougi de moi devant les hommes, moi aussi, je rougirai de lui devant mon Père des cieux3».
Cette verité rend libre, elle dégage des jugements de cour, des pensées mondaines. Elle tempère la dureté ou la faiblesse de nos jugements d’homme. Elle fait rechercher et accepter le jugement des meilleurs sur soi, avec humilité. Jugement du bon sens, de l’amitié vraie, de l’esprit surnaturel. Jugement des saints et des compétents.
Enfin elle inspire de la crainte – non de l’angoisse ou de la peur. Qui aurait peur de rencontrer au dernier jour comme juste Juge celui qu’Il a rencontré et accueilli comme Sauveur miséricordieux? Au séminaire, il y a quelques années, on demandait à un prêtre mourant; «Avez-vous peur?» Et il répondit d’un seul trait;
«Pourquoi aurais-je peur? Je vais voir mon Père».
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Annexe ; conclusion sur les fins dernières.
Le matérialisme forcené de notre temps veut limiter notre horizon à la seule santé, au seul bien-être, au développement de soi, à la survie, à la santé. Il inspire non des hommes, mais des bipèdes agités, sorte de bêtes à produire et consommer, dans l’oubli de toute transcendance, de tout sacré.
Les siècles de foi en les fins dernières sont les plus brillants de notre civilisation. Voyez les cathédrales, les gisants des beati à la période gothique. Ils reposent! La pierre anticipe leur regard d’âme et de chair sur la Trinité Sainte, dans la lumière de gloire. Quelle esperance, quelle paix!
C’est paradoxal, si l’on croit que ces verités ne sont qu’un prétexte à fuir la vie présente et à vivre par procuration.
Tout au contraire, c’est logique si l’on comprend le lien de l’instant présent avec l’immobile éternité de Dieu. «Rachetez ce temps, car les temps sont mauvais… Tant que vous en avez le temps, faites le bien envers tous, premièrement envers ceux qui sont vos frères dans la foi».
Oui mes frères et sœurs, que cette pensée des fins dernières nous accompagne. Gardons-la, revenons-y de temps à autre, et alors nous attendrons avec amour l’avènement du Seigneur de Gloire.
C’est la grâce des vierges prudentes et des serviteurs vigilants,
celle que je vous souhaite !
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1 Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux ; maintenant ici il est consolé, et toi, tu es tourmenté. Ce n’est pas tout : entre nous et vous un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient passer d’ici chez vous ne le puissent, et qu’on ne traverse pas non plus de là-bas chez nous. (Luc XVI, Parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare).
2Jn V, 28-29.
3Luc XII, 8-9.