1ER MARS (1ER DIMANCHE DE CARÊME). VOICI TA MERE… VOICI TON FILS
Si nous avons pris le Carême à bras le corps, décidé d’une résolution généreuse envers Dieu, nous-mêmes et le prochain, alors peut-être tremblons-nous déjà. Peut-être mesurons-nous que ces résolutions, si elles sont bonnes, si elles sont possibles, sont difficiles, couteuses. Peut-être sommes-nous tentés aussi de passer de l’audace spirituelle à la timidité, de la générosité du pécheur pénitent au calcul de l’épicier…
Alors la générosité de Notre Dame au pied de la Croix est là pour nous.
Par une charmante et discrète tradition liturgique, nous croisons la Mère des douleurs, la Reine des martyrs dans la dernière ligne droite de Carême, au vendredi de la Passion, sa mémoire. Et aussi au 15 septembre, sa fête.
Elle se tient debout, près de la croix de Jésus.
Elle … Elle est corédemptrice, associée de la Passion de Jésus.
Debout… attitude de force, de détermination. Pas seulement extérieure mais intérieure. Elle est forte, courageuse dans les larmes de la compassion. Elle pousse nos âmes à se lever et à se tenir debout, vigilantes dans les larmes du cœur, celles de la pénitence. Ni excessive ou raidie dans le faux stoïcisme chrétien – ni avachie et effondrée dans le sentimentalisme inverse. Debout, et vigilante ; toute la foi, l’esperance et la charité de l’Eglise sont concentrées en son Coeur immaculé, à l’heure suprême.
Près de la croix de Jésus. Elle a toujours été près de Jésus. Car on ne sépare pas la Mère de son Fils. C’est la fibre, la chair et le cœur qui l’exigent. C’est la sagesse divine qui l’a disposé. Comme elle est proche de Jésus… dès l’Annonciation, où « Ce qui est en elle » commence notre humaine existence. Puis à la crèche, au Temple où Syméon prophétise l’heure de la Croix pour Jésus et du glaive de douleur pour Marie. Puis à Cana ; « La Mère de Jésus était là… Jésus vint aussi ». Présente, levée de table pour intercéder en notre faveur. Enfin près de la Croix de Jésus. La croix qu’Il porte, où Il est étendu, élevé. La Croix qu’il nous offre à porter, qu’il nous confie et propose.
A Cana, il nous est dit que le meilleur est gardé pour la fin. Et que l’Heure de Dieu n’est pas encore venue.
Et voici le meilleur de Dieu, qui nous déconcerte par ses apparences de pire. « Souvent les apparences sont contre Dieu », disait Gustave Thibon. Voici venue l’Heure de Jésus. C’est aussi notre heure et la vôtre, ô Marie.
Est-ce que Notre Dame a pu progresser en sainteté ? Nous voyons bien un peu ce qu’est la sainteté… mais en ce temps de Carême, nous la voyons surtout en son premier âge, nécessaire. Voie purgative, purification nécessaire des sens et de l’esprit, mortification. Détachement du péché et de ce qui y conduit. Sainteté, fuite du péché.
Mais quelle sainteté alors pour celle qui est conçue sans péché ? Une sainteté illuminative et unitive. Il faut l’union à Dieu établie ou retrouvée pour la vie chrétienne. Mais il faut ensuite le progrès et la croissance dans l’union. Notre Dame y avance. De détachement en détachement. Et ainsi, de grâce en grâce, de charité en charité.
En cela, elle suit Jésus, « au plus près ». Le détachement et la charité de la Passion sont radicaux. Le dépouillement de l’autel au soir du Jeudi Saint nous redira cela, sans bruit.
Sans doute entend-elle en son âme Jésus qui lui dit son radical dépouillement, avant de l’y associer… Ecoutons avec elle;
« Mes disciples sont partis. Fugerunt omnes1. Trahison de l’un, reniement de l’autre, éloignement de tous.
Ma réputation est détruite. Condamné à une mort honteuse, compté parmi les criminels de droit commun.
Mon intégrité physique est abîmée. De la plante des pieds au sommet de la tête, plus de santé2… semblable non à un homme mais à un ver3… regardé comme un lépreux… Homme de douleur… sans forme ni beauté4… Voici mon portrait sur le linge de Veronique après une nuit de garde à vue, 4 comparutions devant 2 tribunaux, 2 flagellations, les passages à tabac et la privation de nourriture. Je suis écartelé en croix, et l’on a distendu et percé ces membres que vous m’aviez formés5.
Ma pudeur et mon intimité sacrifiées, bafouées, profanées. Au Golgotha vient l’ultime dépouillement de ces habits que vous m’avez tissé, ô Mère. Voici la déchirure des vêtements et le partage de la tunique sans couture6.
En mon âme comme au-dehors, c’est la nuit en plein jour. Nuit dans ma sensibilité et mon esprit. Voile de ténèbres, comme celles qui obscurcissent maintenant le soleil de midi, comme le voile sur mes images et les statues de mes amis, les saints et saintes7.
De mon Eglise naissante à mon côté percé, que reste-t-il de visible ? Elle est balayée et dispersée8 par la peur, le doute, la faillite du cœur, jusqu’en son premier chef.
Vous seule, ô Mère, me restez. Vous m’êtes, par permission du Père, rendue en cet instant. Et mon ultime détachement, ma suprême charité, mon plus précieux don avec le Sacré Coeur et le sacrifice eucharistique, c’est vous-même, ô Marie.
Mère, voici ton fils- Fils, voici ta Mère.
Ainsi au pied de la Croix, hier, et aujourd’hui, il y a le sacerdoce avec St Jean, et la maternité avec Marie. La voix du Fils a retenti en un souffle, un murmure. Cela suffit au cœur de la Mère, du prêtre, du fils et du disciple. Voici l’ultime et dernière volonté d’amour. Un amour de séparation, de disjonction.
O dulcis, o dolorosa. L’Eglise a raison de vous invoquer en votre abîme de douceur et de douleur. Au pied de la croix, pour Jésus et pour nous, vous joignez les 2, ô Marie.
Vous adorez en Jésus le Dieu invulnerable, hors d’atteinte en Lui-même.
Vous adorez aussi en Jésus l’Homme Dieu, rendu passible et mortel, vulnerable, et atteint par nos péchés. Pas en Lui-même… mais en un effet de sa bonté.
Vous adorez enfin en Lui l’agneau de Dieu, vainqueur du péché et de la mort. Debout au pied de la Croix, vous préfigurez Jésus debout, ressuscité après 3 jours.
Lorsque je pèche, quelquechose que Dieu a éternellement voulu et aimé est annulé, empêché par mon initiative. Immense douleur à la mesure de la sainteté divine.
Pour ces refus de Dieu, pour ces offenses par abandon de bien et consentement au mal, il fallait un contrepoids dans la balance. Le voici, pesé, mesuré maintenant. À la mesure de la Croix, à la mesure de la charité même de Dieu, et de la Mère de Dieu. L’équilibre est rétabli, il est même inversé. Immense douceur à la mesure de la miséricorde divine.
Si je regrette, demande et obtiens le pardon, si je répare et satisfais pour le péché, alors je puis m’associer à vous, ô Marie, et par vous à Jésus. Je puis compléter en mon propre corps ce qui manque aux souffrances du Christ pour son Corps mystique, l’Eglise.
O Notre Dame, Reine des Martyrs au pied de la Croix, que votre exemple et votre intercession nous soient en aide. Inspirez, accompagnez et menez à bonne fin nos résolutions, en ce temps favorable et ce jour de salut!
1Matth, XXVI, 56.
2Isaïe, I, 6.
3Ps XXI/XXII, 6.
4Isaïe, LIII, 4.
5Ps XXI/XXII, 11.
6Idem.
7Voile violet dont on recouvre les crucifix et les images des saints et saintes au temps de la Passion.
8Zacharie XIII, 7.