2 hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était publicain, l’autre pharisien…
Et bien, pour entrer dans l’Evangile de ce jour, il faut peut-être commencer par faire les présentations.
Ces 2 hommes ont une chose en commun: «venir à l’église», pourrait-on dire. Et c’est bien, rappelons-le. C’est rare aussi, d’ailleurs, à en croire les statistiques nationales. Mais passons…
Combien de fois j’ai entendu cette remarque qui sonne comme une justification; «Oh, moi, je ne vais pas à l’église, à la messe le dimanche. Ceux qui y vont sont tellement hypocrites». Une plaisanterie répond (malicieusement) à ce reproche; «et bien, il reste un peu de place pour vous». Et j’ajouterai plus sérieusement qu’on ne va pas à l’église le dimanche parce qu’on est un type bien, mais pour le devenir, ou le rester. Ce n’est pas une récompense, c’est un moyen et un besoin spirituel pour l’homme. Et c’est une justice rendue à Dieu. Il sourit sans doute de certaines classifications sur les gens bien… et de certains jugements sur les dispositions du cœur…
Ces 2 personnages sont différents…
Commençons par le publicain; un percepteur d’impôt, l’homme du fisc et du trésor public. Dans notre pays et notre époque de trop lourde fiscalité, un personnage peu sympathique. A l’époque du Christ, un métier impur, pour 2 raisons ; d’abord on collabore avec l’occupant romain, et ensuite, les fraudes sont fréquentes dans la corporation ; « ça c’est pour César,… ça, c’est pour moi », en paraphrasant à peine le célèbre Don Salluste.
L’autre est au sommet de l’échelle religieuse et sociale de l’époque ; pharisien. C’est l’élite. Une communauté groupée pour sauvegarder sa vie religieuse de toute contamination. Des hommes zélés pour méditer et pratiquer la loi de Moïse. Des hommes exacts dans l’accomplissement du devoir religieux, les exercices d’une règle de vie. Son bilan est intéressant; ni voleur, ni infidèle, ni injuste. Il fait plus que l’abstinence du vendredi, et donne d’avantage que le denier de l’église et la quête. Il est plutôt sympathique, non ? Et d’ailleurs, Jésus ne nous dit pas qu’il ment. Pas plus que le publicain ne ment en se disant pécheur.
Alors, interroge finement l’abbé Caffarel1, pourquoi le pharisaïsme mérite-t-il les foudres du Christ, hier et aujourd’hui?
Pour une raison très profonde; il attend son salut, sa justice et son mérite devant Dieu, de lui-même. C’est à dire de sa pratique de la loi. Il n’y a pas de place en lui pour la grâce qui rend juste et donne le mérite devant Dieu.
On est là devant une tentation d’autant plus dangereuse qu’elle est plus subtile. Le démon essaye alors de perdre une âme qu’il n’a pu faire tomber ou maintenir à terre. Il fera pire alors; il partira du vrai pour entrainer dans le faux, et de l’apparence de bien pour faire dévier l’âme.
C’est vrai que le salut de l’âme est la plus importante affaire ici-bas. C’est vrai encore que Dieu qui nous créé sans nous ne nous sauve pas sans nous ; il faut coopérer à la grâce, décider, agir, prendre de bonnes habitudes, de bonnes résolutions.
C’est faux en revanche de croire qu’on se sauve tout seul. Le démon engage dans cette illusion qu’on se sauve soi-même, par ses propres forces. Le plus important pour lui finalement, c’est de nous faire croire qu’on n’a pas besoin d’être sauvé par un autre, par Dieu. Donc, de ne plus esperer, de ne plus demander, de ne plus recevoir ce salut de Dieu. De rendre inutile
Contentement de soi par comparaison avec d’autres. Comparaison à notre avantage, bien sûr. Tentation de constater ou stigmatiser le péché des autres. De le révéler inutilement, sans profit ni pour sa conversion, ni pour la nôtre d’ailleurs. Voilà les principaux symptômes du pharisaïsme.
La prière authentique est le seul contre poison connu. Elle est une redécouverte quotidienne de Dieu et de nous-mêmes. Et au fond, le meilleur chrétien est celui qui a l’audace et l’humilité de se comparer à Dieu. C’est ça, l’humilité; se comparer à Dieu. Et dans cette comparaison, retrouver la sainteté divine, notre totale dépendance envers Dieu, et le fait d’être sauvé par Lui. Merveilleuse certitude, besoin et possibilité formidable.
Les saints prient, …
- non en disant; «Seigneur, que je suis content de moi… et comme vous pouvez l’être!»
- mais plutôt en disant; «Seigneur, vous, qu’attendez-vous de moi2? Méfiez-vous de moi, car aujourd’hui, je peux vous trahir3! Multipliez en moi les effets de vitre miséricorde!4»
Se comparer aux autres est très humain, et nous sommes des êtres sociables, après tout! C’est piégeux, c’est risqué si cela tourne en jalousie, tristesse des qualités, succès ou progrès du prochain – ou en orgueil, mépris et fausse joie des défauts, échecs et reculs du prochain.
On comprend alors que rien ne peut être aimé absolument et sans limite que Dieu seul. St François de Sales donnait ce conseil surprenant à une âme d’élite, très vertueuse ; n’aimez rien trop, pas même la vertu.
Oui, aimer Dieu par-dessus tout met de l’ordre dans nos autres amours.
Préferer Dieu bien infini aux autres biens finis, cela ordonne et rectifie ensuite notre attachement aux autres biens. A commencer par celui que Dieu a effectivement mis en nous ou fait à travers nous.
1Lettre mensuelle aux Equipes Notre Dame, janvier 1958.
2Ste Thérèse d’Avila.
3Prière du matin attribuée à St Philippe Néri et St Alphonse de Ligori.
4Missel Romain, 10e Dimanche après la Pentecôte, Collecte.