Au Nom du Père et du Fils et du saint Esprit, ainsi soit-il,
MBCF et S,
Cette semaine, nous avons fêté le patron de la bonne mort… St André Avellin, qui mourut au bas de l’autel, où il se préparait à offrir la Ste Messe. Introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam… J’entrerai, j’irai vers le Dieu qui fait la joie de ma jeunesse. Nous avons aussi honoré les morts tombés pour la Patrie.
Parlons de la mort ; du point de vue du monde – de l’homme – de l’origine – du Christ – et enfin du chrétien, c’est à dire vous et moi.
Le monde et la mort.
La pensée mondaine repose sur un paradoxe. 2 idées complètement contraires.
Repousser la mort. Supprimer la mort. Contourner l’impasse. Régénerer artificiellement le corps humain, comme on recharge une batterie. Imprimer des organes en 3D, disposer de pièces de rechange. Transhumanisme.
Ou alors, rendre la mort séduisante; morbidité. Esthétique de la «bonne mort», en grec, euthanasie. Choisir sa mort, se donner la mort qu’on veut. Est-ce que nous partageons ce paradoxe?
Ajoutons-y encore la peur entretenue de la mort; comptabilité quotidienne (et discutable) des décès, supputations délirantes des décès à venir, obsession sanitaire et hygiéniste, culpabilité permanente envers le risque de mourir ou faire mourir. Agitation émotionnelle savamment orchestrée, bruit de fond qui assourdit la conscience, tenaille qui écrase le cœur. Et c’est vous-mêmes qui nous rabachez que la religion est facteur de peur, d’obscurantisme, de dégoût et de fuite de la vie présente, de traumatisme morbide? Beaux prêcheurs que voilà! Vous n’aurez ni ma peur ni mon consentement.
L’homme et la mort.
Profondément, peu de mots nous définissent avec notre grandeur et notre misère. Ame ou esprit incarné, corps animé. Donc composé, donc doué de sensibilité et de passion, mais aussi d’intelligence et volonté, de spirituel. Or tout ce qui est composé peut se décomposer, se défaire. Dieu le sait bien; avant le péché originel, il donne un supplément à notre condition; l’immortalité. L’âme ne lâchera pas le corps, elle recevra une prise spéciale sur lui, pour rester avec lui. Et puis la mort entre dans le monde avec le péché. Elle devient notre compagne certaine, le dernier acte de l’existence terrestre, le passage obligé.
Ecoutons la sagesse de la Fontaine ;
« Un pauvre bucheron tout couvert de ramée…
d’un malheureux la peinture achevée. (…)
Il appelle la mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire;
C’est, dit-il, afin de m’aider
A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes. »
Il y a dans l’homme un instinct de la vie, une force de conservation ; et aussi une répugnance sensible à perdre la vie. Il y a encore une alternance entre le goût et le dégoût de la vie. Et il y a un devoir de vivre. Conserver, garder, offrir et donner ce qui nous est confié et ne nous appartient pas. Tu ne peux reprendre ou détruire ce qui ne t’appartient pas, mais tu peux rendre un jour ce qui t’a été confié pour un temps.
Il y a une difficulté à mourir. Et même à penser que l’on va mourir. Ni le soleil ni la mort ne se regardent en face1.
La philosophie des anciens cherche l’art de bien conduire sa vie… et sa mort, qui est le dernier acte de la vie terrestre. Son humilité devant la mort est un antidote à la peur; «Athéniens, voici le moment venu, pour moi de m’en aller à la mort, et pour vous de retourner à la vie. Et de nous 2, je ne sais qui a le sort le plus enviable2». Et le départ routier affirme; «Souviens-toi qu’un routier qui ne sait pas mourir n’est bon à rien. Mais souviens-toi qu’il est peut-être plus difficile de vivre».
L’origine de la mort.
C’est par le péché que la mort est entrée dans le monde. Le salaire du péché, c’est la mort. Il est écrit que les hommes ne meurent qu’une fois puis vient le jugement3. La mort est la peine annoncée du péché ; de l’arbre de la science du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, sûrement, tu mourras. Vous n’allez pas mourir, mais vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux. Tu retourneras à la poussière d’où tu as été tiré. Car tu es poussière, et tu retourneras en poussière4. C’est la fin de toute chair, tout être vivant.
Le Christ et la mort.
Jésus prend tout de notre condition humaine; faim et soif, joie et tristesse, fatigue et souffrance. Enfin notre mort d’homme, ultime prolongement de l’Incarnation. L’immortel se fait mortel. L’impassible se fait passible. Salut vrai Corps né de la Vierge Marie, qui as vraiment enduré souffrance et mort sur la croix pour l’homme5.
Semblable à nous en tout donc, sauf en ce qui concerne le péché. Or la mort est conséquence, elle est peine du péché. Jésus l’assume, non comme peine du péché originel ou personnel. Mais comme moyen choisi de nous rendre la vie; celle de l’âme, la grâce perdue – et celle du corps,la résurrection de la chair:
«Il resplendit le mystère de la croix,
où le Christ qui est la vie endure la mort,
et par sa mort nous rend la vie6».
« La mort et la Vie
s’affrontèrent en un combat formidable,
Le prince de la vie était mort.
Vivant, Il règne!7»
Ainsi les portes de la mort ne sont plus fermées. La croix est la clé qui les ouvre, le bélier qui les défonce8. Et nous ne sommes plus isolés dans cette solitude où nul ne pouvait nous accompagner9. Même si je traverse le ravin et l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi. Ton bâton et ta houlette m’ont consolé10. Ce n’est plus l’impasse, c’est le passage11. Ce n’est plus le dernier mot de la vie, c’est l’avant-dernier !
Le chrétien et la mort.
Nous ne sommes donc pas dispensés de mourir. Pas plus que Jésus n’en fut dispensé.
Que faire de notre mort ? Franchement… Nous ne saurions qu’en faire.
Et bien, pensons-y, déjà. C’est un frein sérieux pour l’âme qui accélère dans le péché. C’est un arrachement salutaire pour l’âme enlisée dans la lâcheté ou la tiédeur spirituelle, l’esclavage des biens matériels, l’illusion de l’orgueil ou de la toute puissance. Jésus y a fait allusion. «J’ai des biens en abondance.. ; je dirai à mon âme ; tu as beaucoup de bien en réserve pour plusieurs années. Dors, mange, repose-toi. Insensé, cette nuit-même, on te demandera des comptes de ton âme, et qu’en sera-t-il de ces choses que tu as accumulées ?» . La pensée chrétienne de la mort aide à bien vivre. St Ignace en fait l’une des questions essentielles pour prendre telle bonne décision importante : que voudrais-je avoir fait au moment de la mort?
Et puis, confions l’instant présent, ce lieu où Dieu donne sa grâce et attend notre réponse.
Confions aussi ce jour et cette heure que nous ne savons pas… Confions-les à Notre Dame. Demandons souvent pour nous et les êtres chers la grâce de la bonne mort, c’est à dire de la perseverance finale. Soyons fidèle au rdv du 1er vendredi du mois, et le Sacré Coeur tiendra promesse. Soyons fidèle au 1er samedi du mois, au scapulaire du mont Carmel, et Notre Dame tiendra promesse.
Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.
1Proverbe des anciens.
2Platon, Apologie de Socrate.
3Hébreux, IX, 27.
4Genèse, II, 17 et III, 1 à 19.
5Ave verum, de St Thomas d’Aquin.
6Hymne Vexilla Regis pour le temps de la Passion.
7Séquence Victimae Paschali pour le jour et l’octave de Pâques.
8Aujourd’hui, notre Sauveur a fait sauter les verrous et défoncé les portes de la mort. Répons du samedi saint, office des Ténèbres.
9Benoit XVI, Spe salvi.
10Ps 22/23.
11Je meurs de ne pas mourir (Ste Thérèse d’Avila). Romps la toile de cette douce rencontre (St Jean de la Croix).