Deux êtres qui s’aiment assez pour sentir qu’ils n’existeraient pas l’un sans l’autre, ne peuvent-ils pas arriver à cette noble et touchante intimité qui met tout en commun, même la mort 1?
Il y a une limite à cette citation de Mme de Staël. C’est que Dieu peut exister sans nous, et qu’un jour nos premiers parents ont choisi d’exister sans lui.
Il y a du vrai cependant. C’est que Dieu a voulu exister, être, échanger avec nous, et partager de notre vie d’homme et la naissance et la mort, pour que nous ayions part à son éternelle vie.
Noble et touchante intimité. Celle que l’âme perçoit au spectacle de la crèche. Voyez les enfants devant la crèche. Ils grimpent sur les chaises, ils voudraient regarder avec les mains, s’approcher d’avantage, entrer dans la crèche.
Cette attitude extérieure nous permet de comprendre ce qu’est l’intimité divine.
Car si Jésus se montre tout autre que nous, en tant que Dieu, il se montre aussi très proche de nous et semblable à nous, en tant qu’homme. Dès lors une intimité est rendue possible. Par l’initiative de Dieu, et notre réponse. Tout le prologue est là. Au commencement le Verbe, le Verbe auprès de Dieu, le Verbe Dieu… Le Verbe s’est fait chair… A tous ceux qui l’ont reçu Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu…. de sa plénitude nous avons tout reçu2.
Il faut aller au premier jardin et aux premières rencontres du Créateur et de sa créature. Dieu alors conversait familièrement avec l’homme, et l’homme avec Dieu. Aimable conversation, échange, proximité, familiarité même, à la brise du soir.
Au lendemain du péché originel, cet échange est interrompu, cette familiarité n’est plus possible. La proximité voulue par Dieu est interrompue par un éloignement. Éloignement non de distance, mais de cœur et de volonté.
Dieu ne se résoud pas à cela, pourtant. Il va restaurer alors cette intimité, cette possibilité d’échange et d’union. Il va même l’améliorer encore. Mirabiliter condidisti, mirabilius reformasti, prions-nous avec le prêtre au moment du mélange de la goutte d’eau au vin du calice, à l’Offertoire.
L’intimité de l’âme de Jésus est notre modèle. En la Personne du Verbe, son âme est unie substantiellement à la divinité. 1Er sens de la goutte d’eau plongée dans le vin
l’intimité de Jésus est aussi la source de notre intimité avec Dieu. La goutte d’eau représente, dans la symbolique biblique, les peuples nombreux. Elle représente notre âme et toutes les âmes appelées à plonger depuis la crèche dans l’abime de la Trinité. De Bethléem au sein éternel de Dieu, dans la splendeur des saints.
C’est une possibilité merveilleuse. C’est une possibilité universelle, c’est offert à tous, même si tous n’en profitent pas, ou pas toujours, ou pas autant qu’il est possible.
Il y a grande variété dans les santons de la crèche, et dans les représentants de l’espèce humaine. Diversité de tempéraments, de caractère, de physionomie spirituelle. C’est admirable, car cela offre des reflets variés des perfections éminentes de Dieu. C’est parfois difficile et exigeant dans les relations humaines. C’est redoutable si cela amène manquements de charité, impatience, irritation, jugements téméraires. Mais pourquoi vouloir l’uniformité appauvrissante où Dieu lui-même a voulu une unité supérieure dans une très large diversité ?
« Tout le monde comme moi », quelle caricature !
Il faut une harmonie de voix, de notes très diverses pour la beauté d’une musique.
Il faut une palette de couleurs et de nuances, de températures et d’intensité très large pour la beauté d’une œuvre.
Il faut une variété de plantes, d’arbres et de fleurs pour la beauté d’un jardin.
Ainsi la même intimité divine avec l’Enfant Dieu de la crèche, la participation à l’Incarnation se réalise de manière très variée dans l’Eglise. Avec des accents, des couleurs, des notes diverses.
Certains seront des connaisseurs de la crèche. Ils auront pour grâce de contempler, de connaître, de faire connaître. Ce sont les bergers et les rois mages. « Allons, voyons ce qu’on nous a fait connaître, ce qui nous a été révélé ». Des saints de l’intelligence, recevant de plus vives lumières pour être éclairés et éclaireurs.
D’autres seront des amoureux de la crèche. Celui qui nous aima ainsi, qui ne l’aimerait en retour. Ce sont les ravis, les sainte Marie. Ils aiment et réparent parce que l’amour n’est pas aimé. Des saints de la volonté, recevant de plus fortes grâces d’amour, de charité, un zèle pour Dieu et le prochain.
D’autres enfin seront des serviteurs de la crèche. Ils en vivront l’esprit, en appliqueront les leçons dans les œuvres de charité. Ce sont les ouvriers de la crèche, les saint Joseph. Des saints de l’intelligence pratique, de la mémoire, de la sensibilité, incessamment actifs pour le bien du prochain.
On est plus l’un ou l’autre, chacun selon la grâce particulière que Dieu donne en ce jour. On a tous un attrait surnaturel dominant, une note principale que l’on joue, et que les actes intérieurs et extérieurs permettent d’entendre.
Le Seigneur, dans la formation des âmes, trouve moyen de tout utiliser. Autre le missionaire,le théologien, la mère de famille, l’ancien, le célibataire, le petit enfant, l’adolescente.
Mais il fait tout servir à l’expression de la foi, de l’esperance, de la charité. Au rayonnement de la crèche et de l’Incarnation. À l’expression incarnée, partielle, mais belle, des perfections divines.
Il faut connaître ce cadeau, ce talent reçu des mains du petit Dieu, et le faire fructifier, grandir. Alors on touche vraiment ce que c’est que la crèche, mieux, on y entre, on y revient comme un petit enfant…
1Mme de Staël, Corinne.
2Jn I, cf Ordinaire de la Messe, dernier Evangile.