Sois apôtre. Prie. (Texte du Père Doncoeur).
Pourquoi ? Pour 1000 raisons !… J’en passe 999 ; voici la dernière :
Parce qu’il y a de la boue plein les boyaux, de l’eau jusqu’aux os, du froid jusqu’aux racines des cheveux, des fatigues sans repos, toutes les misères possibles, et la vermine encore !
Parce qu’il y a des monotones heures de faction la nuit, et les terribles heures d’avant l’attaque ! (…)
Parce qu’on n’y comprend plus rien et qu’on ne voit plus comment ça finira… Pour tout cela, il y a un cafard, un cafard énorme et venimeux : c’est le départ complet, l’envie de se coucher dans le fossé et d’attendre n’importe quoi qui arrivera… Cela, tu l’as vu.
Toi aussi d’ailleurs tu souffres ; mais parce que tu es chrétien, au lieu de chercher l’oubli dans le blasphème, ou le kit, tu t’es mis à prier. Un bon chapelet t’a apporté l’apaisement dans les bras de ta Mère. De temps en temps, tu as réuni en un colis bien tassé toutes tes peines et tu as envoyé le tout au Ciel, en recommandé. Et le Christ du Calvaire, qui te ressemble à s’y méprendre, s’est penché vers toi, t’a parlé au coeur et t’a embrassé. Alors, tu t’es senti bien fort.
Parfait ! Continue ! Mais veux-tu essayer encore autre chose. Il faut varier un peu, et puis on n’en saurait trop avoir de remèdes contre ce mal. Tu n’as peut-être pas encore osé, parce qu’il y a le respect humain, parce que tu ne sais pas comment t’y prendre et que tu as peur d’en être pour tes frais. Eh bien ! Tu te trompes : Sois apôtre … c’est radical ! Ecoute-moi bien.
Quand tu penses à une chose, tu ne penses pas à une autre. Si tu penses à tes camarades, à les consoler, à les aider, à les éclairer, tu ne penseras pas à ton mal. Tu l’oublieras et les jours passeront vite et bien remplis. Quand est-ce qu’on a peur ?
C’est quand on y pense. Tant qu’on travaille dur dans l’attaque, ça va. Mais quand on est relevé, et qu’on attend sans rien faire dans un petit ravin que le bataillon soit reformé, c’est alors qu’on pense aux obus, et le moindre qui éclate vous fait courir.
Tant qu’on pense à autre chose, on n’a pas peur.
Bien plus fort ! Si tu as été blessé, tu le sais bien : Quand on est tout seul dans son trou d’obus, avec son bras cassé, en attendant les brancardiers qui n’en finissent pas d’arriver, ah ! C’est alors qu’on souffre. Mais voilà qu’en gémissant rampe vers toi un camarade plein de sang, tu l’as reconnu : « Ah ! C’est toi, mon pauvre vieux, comme ils t’ont arrangé… Viens qu’on te fasse ton pansement ! » Et tu l’as tiré vers toi, et tu as pansé sa cuisse cassée, et sa tête ouverte et sa main déchirée. Et tu as trouvé un reste d’eau dans ton bidon : « Tiens, couche-toi, ne bouge pas ! Surtout ne t’en fais pas, tu as le filon, ce n’est rien. Je vais chercher les brancardiers. » Et te voilà parti, tu ne penses plus à ton bras… On ne pense pas à deux choses à la fois. Eh bien, c’est pourtant comme ça. Si tu veux oublier ton mal pense à celui des autres. Sois apôtre, tu verras, c’est radical.