Voici donc le commencement du temps de Carême.
Pendant longtemps, il commençait au 1er dimanche de Carême, puis on a soustrait les dimanches, jours de résurrection du Seigneur- et donc répit dans le jeûne. Et pour conserver les 40 jours du Seigneur au désert dans la vie liturgique, on a avancé au Mercredi précédent.
Cette liturgie est austère. Déjà nous y étions un peu, avec la Septuagésime, temps du diagnostic de la foi sur notre condition humaine ; bonne parce que créée par Dieu – mais aussi abimée, marquée par le péché originel et personnel, avec ses conséquences. Voici maintenant le temps du remède, du combat spirituel, de la course vers Pâques.
Le geste sacré de ce soir est fort, dramatique. Si clair et franc qu’il se passe de commentaire1. Fils d’Adam, nous entendons la sentence divine en écho de la sienne ; Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière, et que tu retourneras à la poussière. La mort corporelle réduit en poussière ce corps – alors que nous avons tant misé sur sa vitalité, sa santé, sa vigueur. Religion de transhumanisme, bien être universel, dont nous ne sommes peut-être pas complètement indemnes.
Devant cette vérité, l’homme se dérobe, hier comme aujourd’hui.
« Quand nous y sommes, la mort n’y est pas, et quand la mort y est, nous n’y sommes pas2« . Cela fait sourire. Cela fait-il vraiment réfléchir, ou bien fuir? Quelle dignité dans la prétention de supprimer la mort, ou encore celle de se donner la mort sous prétexte qu’une vie ne vaudrait plus d’être vécue? En fait, c’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet3.
La cause première, ultime, la racine de la mort est le péché.
C’est par lui que la mort est introduite dans le monde, dans tous les hommes, dans ma vie (Rom V et VI). Quelle réponse à tous ceux qui, sous prétexte de psychologie, de sociologie, d’évolution, veulent vider le péché de son caractère tragiquement sérieux. En fait, c’est le grand mal, parce que c’est la privation du plus grand bien ; Dieu. Et aussi parce que les autres formes de mal en découlent. Par le péché, « l’homme a brisé l’ordre qui l’oriente à sa fin dernière et, en même temps, il a rompu toute harmonie, soit par rapport à lui-même, soit par rapport aux autres hommes et à toute la création« 4.
Voilà pour la cause. Et la solution ? C’est la promesse divine, l’initiative de la Miséricorde divine.
« Vous avez pitié de toute chose, Seigneur, et vous ne haïssez rien de ce que Vous-même avez créé. Vous dissimulez les péchés des hommes à cause de la pénitence, et vous les épargnez5 ». Nous l’avons entendu dimanche de la bouche du Seigneur ; « Voici, nous montons à Jerusalem, et le Fils de l’homme sera livré, flagellé, conspué, crucifié – et Il ressuscitera le 3ème jour ».
Si le Christ vient en ce monde, s’Il vient dans ma vie, c’est pour se charger du péché, et assumer même la mort, conséquence du péché. Mais c’est aussi pour vaincre le péché et la mort, par sa résurrection.
Que nous propose maintenant la liturgie?
3 choses que St Augustin met en image ; «veux-tu que ta prière s’élève jusqu’à Dieu ? Fais-lui 2 ailes, le jeûne et l’aumône6».
– la prière plus soutenue, suppliante. Prière soulignée par l’agenouillement, prolongée. Communautaire et personnelle ; messe, chemin de croix, adoration, oraison.
– le jeûne, renoncement à quelquechose de notre avoir; un seul vrai repas solide aujourd’hui et vendredi saint – et peut-être une autre restriction alimentaire, non sur le nécessaire mais sur le convenable. Honnêtement, cela laisse de la marge. Je me dois de rappeler, après les Pères de l’Église et toute la grande tradition, que le jêune est alimentaire – mais pas seulement…
– l’aumône enfin ; si nous pouvons retrancher d’un côté, c’est pour donner de l’autre. Ne serait-ce que du temps, du sourire, de l’écoute, du service, …
En tout cela, courons vers Pâques avec l’allégresse d’un saint désir spirituel. Revenons au Seigneur de tout notre coeur, ce coeur qui est centre de nos pensées et sentiments, racine de nos décisions, de nos choix, de nos actions7.
« Que la main droite ignore ce que donne la main gauche…
Que le jeûne soit souriant et parfumé…
Que la prière monte de la chambre haute…
Que le coeur soit déchiré, non le vêtement»
Se souvenir de Lui, en s’oubliant un peu plus soi-même… Maintenant.
Courir ensemble, enfin.
« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Le Carême est un temps de plus forte entraide, de meilleur attention envers le prochain, de plus forte charité. Éteindre les rivalités, les dissensions, rechercher ce qui sert l’unité, et peut édifier ceux qui sont loin de Dieu. Servir ainsi la communion des saints!
A vos marques donc!
1St Paul VI, Homélie des Cendres, 1968.
2Epicure.
3Gaudium et Spes, 18.
4 Gaudium et Spes, n. 13
5Introit de la Messe.
6Commentaire sur les psaumes, 42, 8.
7Benoit XVI, Homélie des Cendres, 2013.