MBCF et S,
Vous connaissez sûrement le célèbre tableau de Delacroix; La liberté guidant le peuple.
Quand on parle de guider, on se demande toujours, assez logiquement; vers où? Quel bien? Quel mieux? Et aussi, comment, par quels moyens? Car il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il veut aller, selon le bon Sénèque …
Il y aurait donc un autre tableau à peindre, une suite; Où la séduisante liberté a conduit le peuple. Le peuple de France, d’une part, et le peuple de Dieu qui est l’Église d’autre part.
France fille ainée de l’Église… Oui, le service de la verité catholique et de la charité a fait la grandeur et le rayonnement de la France.
Inversement, l’éloignement de Dieu, la secularisation, le rejet du sacré au nom de la liberté a jeté la France bien bas. La Fille ainée de l’Église n’est pas très fidèle aujourd’hui, glissait le St Père à des représentants officiels en visite à Rome.
« Je crois que vous avez tous besoin d’une paysanne, précisément, dans vos Conseils. Ce sont les grands qui gouvernent le royaume et c’est justice; Dieu l’a remis entre leurs mains… Mais, sans vouloir me mêler de juger les décisions de la Providence, je suis étonnée quelquefois qu’Elle ne leur ait pas donné en même temps, comme Elle l’a fait généreusement aux plus humbles de Ses créatures, meilleure mesure de simplicité et de bon sens. […] et de courage1».
Jeanne s’est tenue loin de l’esprit de clan et de parti qui déchirait en son temps et l’Église et la France. Je ferai comme elle. Elle fut, dit l’oraison du jour, du parti de la Patrie, et de la foi. Elle joignit le politique et la mystique, en sachant se garder de la politique, ce jeu séduisant et décevant qui éblouit et brûle ses adorateurs, comme des papillons devant une lampe tempête.
« Dieu est avec tout le monde, ma fille. C’est l’arbitre et il marque les points. Et, en fin de compte, il est toujours avec ceux qui ont beaucoup d’argent et de grosses armées. Pourquoi voudrais-tu que Dieu soit avec la France, maintenant qu’elle n’a plus rien du tout ? » A cette tentation du sceptique, Jeanne répond, une fois pour toutes; « Peut-être parce qu’elle n’a plus rien du tout… […] Dieu n’est pas avec ceux qui sont les plus forts. Il est avec ceux qui ont le plus de courage. Il y a une nuance. Dieu n’aime pas ceux qui ont peur2».
Jeanne, c’est notre Marianne à nous! Elle est inséparable du roman national. Voyez le succès de sa figure, même chez les hussards noirs du XIX° siècle, peu suspects de royalisme ou de clericalisme… dans ses évocations culturelles; le secret de la lance du Puy du Fou, les fêtes johanniques d’Orléans, le film magnifique « Jehanne ; le pouvoir et l’innocence », les œuvres de Régine Pernoud et Jacques Trémolet de Villers… Ou encore la providentielle découverte de son anneau et de son armure.
Jeanne est fille de Dieu; ainsi l’interpelle St Michel. Elle est aussi fille du peuple de France, réunissant tout un peuple, une patrie, une nation. Elle sort par en-haut de la fausse opposition entre l’identité et l’universel, entre l’enracinement et l’ouverture. Oui, Dieu aime tous les peuples. Il les aime avec ordre, cependant. Il est conforme à la charité de commencer par ceux qui nous sont les plus proches selon le sang, selon l’esprit, selon la civilisation et la foi.
Jeanne est libre.
Ah, … la liberté… Ils peuvent nous enlever notre vie, mais ils ne prendront jamais notre liberté3. L’assertion du héros et résistant écossais séduit et fait frissonner… L’ironie, c’est qu’elle peut engendrer aussi bien des saints,… que des révolutionnaires. Dostoïevski fait dire à l’un de ses personnages; « Il n’y a rien de plus séduisant pour l’homme que le libre arbitre, mais aussi rien de plus douloureux ».
L’Église catholique, adversaire sournoise, irréconciliable de la liberté humaine?
En fait, ce soupçon appelle une question; qu’est-ce que la liberté?
Alors parlons un peu de la liberté, puis de la liberté de Jeanne.
La liberté, bien excellent des êtres doués d’intelligence ou de raison, confère à l’homme sa dignité. Il est à son conseil et maître de ses actes.
Néanmoins, de l’usage de la liberté naissent les plus grands maux comme les plus grands biens. Sans doute, il est au pouvoir de l’homme d’obéir à la raison, de pratiquer le bien, de marcher droit à sa fin suprême; mais il peut aussi suivre toute autre direction, poursuivre des fantômes de biens trompeurs, renverser l’ordre légitime et courir à une perte volontaire4.
C’est l’honneur de l’Église d’avoir affirmé cela à temps et à contretemps. C’est l’honneur des saints d’avoir pleinement vécu cette liberté. Et ce qui en est inséparable ; le bon sens, la simplicité, le courage.
La liberté de Jeanne est d’aller à Dieu.
Aller à Dieu par la messe quotidienne, l’élévation de l’âme vers Dieu à chaque son de cloche, la prière d’invocation aux noms de Jésus et Marie, gravés dans son anneau, le simple devoir d’état5.
Ensuite, aller à Dieu plus radicalement encore, par le vœu de virginité ; à 13 ans, cette jeune fille décide de se consacrer entièrement au Seigneur. Une armure sera son habit religieux. Les champs de batailles et glacis de remparts seront son cloître… Bermont, puis Ste Catherine de Fierbois et Reims seront sa chapelle conventuelle. Enfin, la place du vieux Marché à Rouen sera son berceau de naissance à l’éternelle vie.
Que sa prière, son exemple, son appui auprès de Dieu nous obtienne et nous garde les vertus du combat spirituel ; simplicité, bon sens spirituel, courage.
Que cette offrande salutaire, Seigneur, nous procure dans les épreuves cette force d’âme dont sainte Jeanne donna de si beaux exemples, au milieu des plus grandes difficultés, elle qui n’a pas craint d’affronter les dangers de la guerre pour repousser les ennemis. Vous nous avez réconfortés, Seigneur, par le pain du ciel où sainte Jeanne puisa tant de fois la force de vaincre ; Permettez que cet aliment du salut nous rende victorieux de nos ennemis. Amen !
1ANOUILH, L’Alouette (la Reine Yolande).
2Idem (Dialogue entre le Dauphin et Ste Jeanne d’Arc).
3Braveheart.
4Cf Léon XIII, Encyclique Libertas praestantissimum.
5Benoit XV, Discours de canonisation.