Un chrétien, c’est un imitateur de Dieu.
C’est quand même plus facile d’imiter quelquechose que l’on voit, que l’on connait, et que l’on aime. C’est plus cohérent de décider quelquechose dont on voit, suffisament, le bien fondé.
Or Dieu s’est incarné, prenant condition humaine. Le Dieu aimable se rend imitable, en se faisant semblable. Semblable à nous en tout, sauf en ce qui concerne le péché.
Je considèrerai ce que Jésus Christ a fait pour moi.
Puis je reflechirai et déciderai ce que moi, je dois faire pour Lui1.
CE QUE LE CHRIST A FAIT POUR MOI…
Si le Christ est sans péché, il vient néanmoins à cause du péché du monde. A cause de mes péchés.
Il vient en être le remède, en acquitter la rançon auprès du Père. Ai-je connu bien, et personnellement, Dieu? Dieu infini en perfection. Dieu Seigneur de toute chose, donc de moi-même? Dieu servi par ma vie, toute ma vie? Dieu offensé par certains de mes actes volontaires? Dieu large envers sa créature, lésé par sa créature?
Le Christ vient aussi donner le remède au péché.
Il inaugure ainsi son message; se convertir ou périr. Faire pénitence ou végéter. Loin d’être pulsion morbide, idéologie anti-vitale, le christianisme est école de vie, de vie meilleure. Provocation à un bien, un mieux. La pénitence en fait partie, inséparablement.
Le Christ va donc sanctifier les moyens de pénitence, pratiquer ce qui est remède au péché, Lui qui est sans péché. Il ne le fait pas pour Lui, mais pour moi.
Après le bapteme de pénitence, Il est conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté. Il prie et jeûne. Il fera aussi aumône, miséricorde de certains biens, puis de tout Lui-même sur la croix. Il va montrer son autorité souveraine sur la source de tout mal.
Voilà le Christ que j’adore et contemple aujourd’hui, maintenant ;
- un Christ jeûnant, priant, éprouvant la faim de l’âme et du corps.
- Un Christ acceptant l’épreuve de la tentation, répétée, subtile, et la surmontant fermement, majestueusement.
Voilà le Christ que j’écoute maintenant dans la liturgie des Cendres et du Carême ; Viens avec moi au désert jeûner et prier, me dit-Il. Viens, et reste avec moi. Moi, je viendrai avec toi, je resterai avec toi à l’heure de la tentation. Tu es poussière2, certes. Mais poussière que j’ai créée, aimée, voulue, prise. Une poussière que j’épargne et recueille avec soin. Car en ce que j’ai créé, Moi, je fais miséricorde à tout, et je ne déteste rien3.
CE QUE MOI, JE DOIS FAIRE POUR LE CHRIST.
Après mon baptême, je dois être conduit au désert par l’Esprit, et connaître l’épreuve de la tentation. Je vais prier, jeûner. Je vais user de mes biens en aumône et œuvre de miséricorde. Je vais contempler la croix du Seigneur pour mieux porter la mienne.
Chrétien, notre pire tentation est celle-ci; mièvrerie, indolence, immobilisme spirituel devant l’appel du Seigneur et de son Eglise. Tout est bon pour cela ;
- s’écouter, mais trop ou pas assez.
- Se complaire dans l’universelle distraction de l’essentiel, l’agitation extérieure et intérieure stérile, loin de la contemplation et de l’action féconde.
- Consentir la médiocrité, plutôt que de constater la faiblesse et de l’assumer.
- Maquiller la tiédeur en fausse prudence, faux esprit de mesure. Seigneur, n’en faites pas trop pour moi, ne m’en demandez pas trop pour Vous. C’est à dire, finalement, rien. Les angles droits de la croix, les décisions pesées, ciblées, généreuses, entières et non diminuées ne sont pas pour moi.
- Se regarder faire, pousser devant soi un chariot de velléités pas bien décidées, de prétentions pas bien mesurées, de promesses et résolutions pas bien définies, donc encore moins bien tenues.
Ainsi, affairés de travers, nous arrivons au terme du chemin de la vie, cherchant un espace de temps pour faire pénitence et ne le trouvant pas4.
Viens avec moi, reste avec moi au désert ! Nous répète le Christ. Tu y boiras des lumières éternelles, tu y trouveras des convictions inébranlables, tu seras moins entamé par le démon et ses ruses. Tu reviendras ensuite à ton poste, plus vigilant et fort. La station liturgique de chaque jour, c’est cela ; veiller, monter la garde du cœur, prier, offrir, être une sentinelle avec le Seigneur.
Etre quelqu’un, avoir de la personnalité, c’est gouverner son existence en acceptant qu’elle soit provoquée par meilleur que nous. C’est compromettant. Le Carême est affaire d’amour, de charité; St Paul l’a rappelé dimanche dernier5. Mais un amour de qualité, non de facilité. Un amour de Dieu et du prochain jusqu’à la lutte, au-delà de la satisfaction bon marché. Emendemus in melius… Laissons-nous tailler et purifier pour un mieux. Etre émondé, taillé, purifié par le sécateur du Carême. « Tout sarment qui ne porte pas de fruit, mon Père le coupe et le rejette. Tout sarment qui porte du fruit, il le taille pour qu’il en porte d’avantage6 ».
Ce que je vais faire pour le Seigneur, je le fais avec générosité et discrétion. Ainsi j’éviterai paresse spirituelle et simulation.
Ma gauche ignorera ce que donne ma droite, et ma droite donnera7.
Ma prière montera, non seulement des lèvres, mais de la chambre haute du cœur, où mon Père des cieux se tient et voit8.
Maintenant, voici.
Maintenant, voici le temps favorable, maintenant, voici le jour de salut.
Amen.
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1Saint Ignace, Exercices spirituels, 1ère Semaine.
2Formule d’imposition des cendres.
3Introït de la Messe.
4Répons Emendemus.
5I Corinthiens, XIII.
6Jean XV, 2.
7Matthieu, VI, 3.
8Matthieu, VI, 6.