La semaine dernière, je vous ai introduit au mystère de Jésus, Verbe de Dieu. Au mystère de la parole de Jésus, vivante et agissante. Et à la nécessité de décider quelquechose de concret sur le point du silence et de la parole dans notre vie, en particulier autemps du Carême.
Aujourd’hui, allons au pied de Jésus crucifié, avec Marie et Saint Jean.
Allons recueillir une à une les 7 paroles, le Testament du Seigneur. A l’heure dernière de l’existence, les paroles sont plus rares, plus fortes aussi, peut-être. Pour prononcer chacune d’entre elles, Jésus s’est un instant redressé sur la chaire de la croix. En un souffle, un cri, un soupir, une prière, Il nous les a données. C’est son Testament.
1ère Parole ; Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.
A la dernière approche de Jerusalem, le Seigneur a dit à ses disciples ; Voici que nous montons là-bas, et le Fils de l’Homme sera livré, condamné à mort, livré aux païens, tourné en dérision, flagellé, crucifié. Et le 3e jour Il ressuscitera.
Parole lourde ! On devine le silence des apôtres, on le partage. Jésus dit alors sa prescience. Il sait à l’avance le fil de ses douloureux mystères. Il a en son cœur l’offertoire de la Passion, depuis son premier instant de vie humaine. « J’ai dit ; voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté ». C’est l’heure du Canon et de la consécration désormais.
Parole paisible. Jésus semble dominé, dépassé, broyé par le fil des évènements. En fait il le domine pleinement. Une chose le préoccupe, maintenant qu’il est descendu sur terre et monté sur la croix ; faire descendre sur le monde le pardon de son Père.
Revenons en arrière, au bord du chemin de croix. Jésus a dit l’abîme du péché, de l’injustice des hommes, le châtiment qu’il appelle. « Ne pleurez pas sur moi, pleurez sur vous et vos enfants ». Le pardon de Dieu vient, il descend par Jésus. Il ne descend pas pour empêcher les catastrophes qui découlent de l’injustice des hommes. Mais dans les catastrophes mêmes, il sauve la destinée ultime des âmes.
Pardonne-leur… Ce n’est pas sa douleur qui occupe Jésus. C’est notre péché ; offense à Dieu, d’abord, blessure et misère de notre âme ensuite.
Avec son Coeur d’homme, il demande que le Père pardonne. Avec nos cœurs d’hommes, il faut demander aussi que le Père pardonne.
Le monde est submergé par la vague de violence, de haine, de folie et de dureté. Le pardon divin, en descendant sur le monde, pose une digue où vient se briser cette vague.
Sur ta parole, on doit pouvoir bâtir une cité, dit le cérémonial du départ routier. Parole d’homme, parole limitée et solide pourtant. La 1ère parole de l’Homme Dieu bâtit sur terre, commence sur terre un royaume. Le royaume de l’amour, celui des pardons divins.
Devant l’injustice qui déferle sur lui, un peu avant, Jésus alterne le reproche et le silence. « Si j’ai mal parlé, montre le mal. Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? .. Jésus se taisait». Maintenant, Jésus regarde au-dessus des hommes et de leur injustice. Voyant leur éternelle destinée, Jésus dit seulement ; « Père, pardonne-leur ».
Que dire au temps de la rencontre suprême et du compte suprême, quand le silence du bien possible et le reproche du mal dans ma vie m’accuseront ? Mais il y a maintenant sa croix dressée, son sang versé, et ses mots ; Père, pardonne-lui!
Ils ne savent pas ce qu’ils font. Pour pécher, il faut connaissance du mal et consentement au mal. Mais il y a du plus et du moins. Il y avait du plus et du moins dans la responsabilité, dans le péché des accusateurs et des bourreaux. « Celui qui m’a livré à toi a commis un plus grand crime ». L’ignorance des chefs est coupable, car ils ont eu devant eux les signes de la divinité de Jésus, et ils ont préféré leur haine et leur jalousie. La lumière a brillé devant eux, et ils ont préféré les ténèbres. Jésus a parlé, agi parmi eux, et ils ont fermé volontairement les yeux et le cœur. L’ignorance des petits et des simples est moins coupable, car ils ont été égarés. L’ignorance des hommes atténue ce mal. Dieu en prend occasion pour leur donner le bien plus grand de Jésus. Les hommes sont moins puissants à faire le mal, que Dieu à faire le bien. A leur faire du bien.
Ils ne savent pas ce qu’ils font. Ici se croisent les ignorances des hommes et les pardons de Dieu.
Père, ils ne savent pas, ils ne te connaissent pas. Ils ne connaissent ni ta sainteté infinie, ni ta bonté et ton amour infinie. Ils ne savent pas alors le mal infini du péché. Ils ne savent pas l’enfer infini ouvert en eux par le péché. Ils ne savent pas la catastrophe du péché mortel, et l’affreuse tristesse du second!
Et pourtant, Dieu répare l’irréparable. Le péché a détruit le premier amour, amour de création. Sur ces ruines, Dieu élève et bâtit l’amour second, amour de contrition, et de décision. C’est le regret des péchés et le ferme propos.
Mes frères, ayons recours à la bonne confession sacramentelle dans ce temps qui nous conduit à Pâques. Laissons agir en nous cette 1ère parole, dont l’absolution du prêtre est le prolongement ; je vous pardonne tous vos péchés, au Nom du Père et du Fils et du saint Esprit.
Bienheureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde. Il y a des âmes qui attendent de pardonner. Qui désirent de pardonner, qui demandent de le désirer. Des âmes qui s’ingénient à pardonner. Ce sont des miséricordieux, car ce sont des miséricordiés. Ils se savent devancés, dépassés par les pardons divins demandés et reçus. Combien de foisnos confessions ont-elles été le prélude des pardons à demander et recevoir auprès du prochain ?
Alors le chrétien doit lutter, oui. Pied à pied. Contre l’injustice, contre le mal, en lui et autour de Lui. Dans le monde ennemi de Dieu. Devant l’athéisme, l’affaissement moral de la société et de l’Eglise, le chrétien doit lutter. Il doit garder vigoureuse et efficace en lui la haine du péché, l’horreur du mal. La petite Blandine de Lyon disait à son juge ; « Je suis chrétienne, et chez nous il ne se fait point de mal ».
Et lorsqu’on l’aura mis à terre, abattu, physiquement ou moralement, son ultime parole, son ultime lutte sera la parole de Jésus. « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Alors il aura tout vaincu, et pour l’éternité.