Durant tout ce Carême vous allez méditer sur les dernière paroles du Christ en Croix. Dimanche dernier vous avez pu méditer sur celle-ci : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Nous nous arrêterons aujourd’hui sur la deuxième : « En vérité, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis. »
Pour que nous comprenions bien, il faut la replacer dans l’ensemble du passage : « Ils emmenaient aussi avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter. Lorsqu’ils furent arrivés au lieu dit, « le Crâne » ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche.
L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu n’as donc même pas la crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »
Jésus lui déclara : « En vérité, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Jésus demandait le pardon et voici qu’ici il annonce qu’il réalise ce pardon.
Imaginons cette scène. Ces trois Croix en haut du Golgotha. Ces trois croix qui symbolisent l’humanité pécheresse, l’humanité déchue depuis le péché originel. Voilà tout d’abord ce que ces Croix nous révèlent. Elles nous révèlent que l’homme à cause du péché est un condamné à mort, la mort éternelle.
Il y a trois croix. Et ces trois croix signifient trois attitudes différentes face au péché et à la mort : Trois croix, trois hommes, disait Saint Augustin : « un qui donne le salut, un qui le reçoit, un qui le méprise ». Tous trois ont parlé.
Regardons de plus près chacun d’eux :
– Le mauvais larron : « L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » »
Il se moque de Jésus, il unit sa voix à celles des prêtres et des soldats. Il ne comprend rien à ce qui se passe sous ses yeux. Endurci dans son péché et terrifié par la souffrance et la mort qu’il subit, il se désespère et se révolte. Il représente l’homme impénitent, qui refuse de reconnaître son péché. Son regard – et c’est cela le péché, – n’a eu d’intérêt que pour les choses terrestres, pour lui-même. Il n’élève pas son âme à Dieu, son horizon de brigand se limitait aux bien terrestres et son horizon de condamné aussi. Il n’a cherché dans sa vie de bandit que ce qui pouvait servir son intérêt personnel. Il est totalement centré sur lui et son égoïsme.
Voyez comme il s’adresse au Christ : « Sauve-toi toi-même et nous aussi. » L’air de dire « fais-nous descendre afin que je puisse reprendre ma vie de bandit, la jouissance de mes plaisirs ». Il est le symbole de l’homme qui veut jouir sans entrave, qui refuse de servir mais qui veut se servir de la création divine pour sa propre volonté et son intérêt. Il voudrait jouir de tous les dons de Dieu mais sans Dieu. Attitude diabolique du « non serviam ». Il faudrait même que Dieu soit à son service et le délivre de sa croix pour qu’il puisse continuer à vivre sans lui. C’est l’homme impénitent par excellence, l’homme bouffi d’orgueil qui se complait en lui-même et n’est ouvert à aucune transcendance.
Il est tellement centré sur lui-même que selon cette belle formule de Journet : « Il passe, sans la reconnaître, à côté de sa délivrance qui ne reviendra jamais. »
En cela il s’oppose en tout au Bon larron.
Ecoutons sa parole : « N’as-tu pas la crainte de Dieu ? » Comme l’autre larron, il souffre et est dans l’angoisse de la mort qui l’attend mais il porte son regard hors de lui. Il voit cet autre condamné qui, lui, est innocent et qui ne se révolte pas. Il voit la douceur et la force de Jésus pour supporter ce supplice injuste sans révolte ni désespoir. Alors il saisit qu’un mystère se réalise auprès de lui. Il comprend lui-même est coupable et accepte la justice. Il reconnaît avec humilité son péché et saisit alors que la seule issue possible à son calvaire c’est « l’espérance de la miséricorde divine. » Il a entendu ces parole de Jésus : « pardonne-leur, il ne savent pas ce qu’ils font. » Au contact du juste condamné, de l’innocent crucifié, il saisit que Dieu seul peut pardonner. Il réalise le mystère : « le juste est condamné pour que le coupable soit sauvé. »
Alors il demande grâce, il implore, et supplie avec une grande confiance : « Souviens-toi de moi quand tu reviendras dans ton royaume et que tu exerceras ta justice. » Fais-moi miséricorde maintenant pour que je sois juste au jugement. Il croit et sa foi le sauve comme celle de l’aveugle de l’Evangile de ce jour. Il voyait au-delà des apparence, il se laissait toucher par le mystère du Christ :
« Je triomphe de joie et mon coeur est est rempli de ravissement en voyant la foi de ce saint voleur dit Bossuet : Un mourant voit Jésus mourant et il lui demande la vie, un crucifié voit Jésus crucifié et il lui parle de son royaume ; ses yeux n’aperçoivent que des croix et sa foi ne lui représente qu’un trône. »
Car en effet la Croix est le trône du Christ par lequel il exerce sa puissance rédemptrice sur le monde comme il l’avait annoncé : « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait a vie éternelle. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. »
Cette annonce se réalise en lui et NS l’assure et c’est la parole de NS en ce jour : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis ».
Ces paroles peuvent paraître étrange avec ce mélange de présent et de futur : « aujourd’hui » « tu seras ». Le Paradis est-il pour maintenant où pour plus tard. La réponse est dans le : « avec moi ».
Le Paradis est déjà présent à l’homme car il est d’être avec Jésus. Tu seras est un futur dit le Cardinal Journet, mais c’est aussi un présent : c’est le propre de l’Espérance. L’espérance rend déjà présent ce qui est encore futur car elle fait vivre par la certitude de la foi dans l’attente heureuse des joies éternelles Elle élève le coeur de l’homme au-delà des choses :
« Aujourd’hui la Croix, nous dit le cardinal Journet ;
au-delà l’éternité du Paradis.
Il faut aller aux choses en regardant au-delà des choses ».
C’est l’enseignement de Saint Paul :
« J’estime que les souffrances du temps présent ne sont rien en considération de la gloire à venir qui sera révélée en nous. »
Et encore :
« Notre tribulation du moment présent prépare pour nous, d’une manière et pour une fin qui dépasse toute mesure, un poids éternel de gloire ; et nous regardons, non pas aux choses qui se voient mais à celles qui ne se voient pas, car celles qui se voient sont passagères et celles qui ne se voient pas sont éternelles.»
Aussi les béatitudes se vivent au présent :
« Bienheureux aujourd’hui ceux qui souffrent pour la justice
car le Royaume des Cieux est à eux. »
Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.
Alors chers amis en arrêtant notre regard sur cette scène et sur ces paroles de Notre Seigneur faisons notre ces paroles d’une vieille femme : « On entre pas dans le paradis demain ou après-demain ou dans dix ans, on y entre aujourd’hui. » Et comment cela ? En refusant l’attitude du mauvais larron et en adoptant celle du Bon, c’est à dire en regardant la Croix et en mettant toute notre foi et notre espérance en ces paroles de Jésus : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. »